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CYMX

Oeuvre hypermédiatique (net-art) de l’artiste Isabelle Gagné (MIsspixels) sur les expropriations pour la construction de l’Aéroport de Mirabel dans les Laurentides

Terminal de l'aéroport de Mirabel
 

En 1969, le gouvernement du Canada procède à l’expropriation de 97 000 acres de terres agricoles et au déplacement forcé de 10 000 personnes arrachées de leur maison pour la construction de l’aéroport du « futur ». L’immensité du territoire confisqué, composé d’excellentes terres agricoles, témoigne d’ambitions démesurées et d’un mépris manifeste de la population qui y habitait. Le rouleau compresseur des années 1960 avançait sans pitié sur les acquis du passé. Inauguré dans les années 1970, l’aéroport de Mirabel n’a jamais connu le succès escompté. Trop loin de Montréal et difficile d’accès, l’aéroport a longtemps été réservé aux vols internationaux avant que son aérogare ne soit finalement démolie en 2014.

Cinquante ans plus tard, l’artiste Isabelle Gagné, elle-même résidente de Mirabel, propose une (re)lecture à partir d’archives de ce qu’il reste de la mémoire de ces lieux par le numérique, de ce qu’il subsiste aujourd’hui des terres évacuées et de cet aéroport maintenant dédié à l’aviation commerciale.

Oeuvre Web hypermédiatique d’isabelle Gagné
Poésie de Marie-Ève Bouchard
Parcours sonore de Isabelle L. Bédard
Programmation et intégration par Maxime-Alexandre Gosselin

CYMX.ca (optimisée pour ordinateur)

 

Extrait d’une vidéo de l’oeuvre Web hypermédiatique CYMX

 
Champs de Mirabel et les expropriés
 

Dé-conquérir Mirabel, une cicatrice à la fois
Texte par Paule Mackrous

 Le 4 octobre 1975, on inaugure l’aéroport Mirabel qui devait être le plus important de la région, mais aussi, selon la superficie projetée, le plus grand au monde. Après plus de 10 000 personnes expropriées, près d’une centaine d’acres désertés et un choc pétrolier, l’éléphant blanc est dorénavant utilisé pour des vols privés ou pour le transport de marchandises. Des cicatrices bien visibles marquent toujours le paysage et d’autres, plus discrètes, sont inscrites dans l’histoire intime de celleux dont la demeure devait se transformer en piste d’atterrissage. Ce sont ces cicatrices qui sont retracées, ranimées et finement tissées dans le récit hypermédiatique poétique et polyphonique CYMX d’Isabelle Gagné.

Des maisons brûlées, des forêts dévastées, des champs « parmi les terres agricoles les plus riches du Québec (1)» asphaltées : voilà ce qu’on a fait pour répondre à l’ambition d’une poignée d’hommes mégalomanes qui n’ont guère de considération pour ce qui entrave leur propre horizon. Les photographies et vidéos d’archives, dont certaines rappellent les scènes d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle, les coupures de journaux, les données historiques, mais aussi la trame sonore d’Isabelle L Bédard — sons d’enfants qui jouent, poules qui caquètent — dévoilent les différentes facettes de l’événement.

De la vision politique à l’intimité des foyers, des plans de conception de l’aérogare aux paysages réduits en cendres, le récit se déploie par un déroulement à la verticale, tel une ligne du temps. Il s’approfondit au rythme des poèmes de Marie-Ève Bouchard où les préoccupations intimes et universelles s’harmonisent :

est-ce que la terre hurle
quand on l’abandonne

Les nombreux effets de glitchs intégrés aux images rappellent quant à eux les cartes thermiques permettant de repérer les ilots de chaleur générés par la destruction de la nature et les constructions humaines. Ainsi, CYMX met en scène un drame humain, mais aussi un désastre écologique que la rétrocession des terres, entamée depuis les années ‘80, ne suffira pas à réparer. Les avions qui décollent à Mirabel, représentés par le numéro de vol, les coordonnées géographiques et la destination, traversent l’écran en temps réel. Elles laissent une fine ligne sur les images lors de leur passage, évoquant des cicatrices encore vives.

On trouve peu de documents numériques concernant ce qu’on affirme être « la plus importante histoire d’expropriation du Canada (2)». Or, à l’heure actuelle, écrit la spécialiste de l’appropriation des archives Jaimie Baron, « ce qui n’existe pas dans un format numérique et ne se trouve pas facilement via un moteur de recherche pourrait facilement cesser de faire partie de l’histoire (3)». L’artiste offre non seulement une actualisation singulière des archives, mais elle les rend disponible de manière ordonnée dans un espace dédié à celles-ci sur le site web. L’art peut agir comme un devoir de mémoire contre « la violence de l’oubli (4) » et la « rapidité de l’effacement des lieux et des habitants (5)» comme l’écrit la philosophe de l’art Patricia Touboul au sujet d’œuvres d’après-guerre.  

Difficile ici de ne pas spontanément penser au sort des nombreuses communautés autochtones et de leurs terres non cédées. Ne furent-elles pas les premières à avoir été déracinées de ces mêmes terres? Le projet de l’aérogare de Mirabel apparaît ainsi comme une autre concrétisation d’un rapport au monde avide auquel seule la transmission persistante d’une mémoire intime et collective permet d’offrir une résistance.

1. « La longue lutte pour les expropriés de Mirabel », Archives de Radio-Canada, 3 mai 2019.
2. « Le triste sort de l’aéroport Mirabel », Archives de Radio-Canada, 15 septembre 2017
3. Jaimie Baron, The Archive Effect. Find Footage and the Audiovisual Experience of History. New York : Routledge, 2014 : p.187 (Traduction de l’autrice).
4. Patricia Touboul, « Ce que l’art fait à la mémoire : le renouvellement éthique de l’appropriation du temps humain » Nouvelle revue d’esthétique, 2016, no.18, vol.2 : p.104.
5. Idem

 

Manifestation à Mirabel et extrait d'une vidéo de Yvon Deschamps
 
Maison brûlée lors des expropriations de Mirabel
 

Visitez l’oeuvre optimisée pour ordinateur ici: CYMX.ca

 
 
 

Je tiens à remercier TOPO Centre de création numérique pour l’immense support dans le développement de cette oeuvre dans le cadre du forum Mutations. Une immense merci à Maxime-Alexandre Gosselin, directeur technique chez TOPO pour la programmation et l’intégration. Merci au Conseil des arts et des lettres du Québec pour la bourse obtenue dans le cadre de l’Entente de partenariat territorial en lien avec la collectivité de la région des Laurentides. Merci à toutes les personnes croisées depuis le tout début qui m’ont raconté «leur Mirabel» et qui ont généreusement accepté que j’utilise leurs archives. Un merci plus personnel à Marie-Ève Bouchard et Isabelle L Bédard pour leur collaboration créative, leur patience et leur sensibilité sur Mirabel.